La viralité d'internet auprès des jeunes se confirme ici : une énorme majorité d'élèves oppose au savoir transmis par l'école les discours de sites qui se proclament "dissidents", et les visitent sans modération, en particulier ceux de Dieudonné et de Soral (quand ils sont au lycée), sur fond d' antisémitisme, de négationnisme et de théories du complot. C'est un aspect majeur contre lequel l'école devra trouver des parades.

Quelles autres difficultés peuvent rencontrer les professeurs? Le sujet comporte une charge affective importante qui peut conduire les élèves à des débordements (émotion, larmes, rires moqueurs de défense, violence verbale...) qu'il faut pouvoir canaliser, le mal absolu étant difficilement imaginable surtout à ces âges. Il est sûrement préférable d'entrer dans le cours par une approche la plus scientifique possible : décryptage du discours nazi, analyse de documents, chiffres. Eviter une approche" doloriste" qui ne serait que du côté des victimes, montrer aussi les actes de résistance comme celui du ghetto de Varsovie ou l'engagement de jeunes juifs dans les FTP-MOI

Des élèves disent parfois qu'on parle trop de la Shoah et pas assez d'autres victimes, faisant jouer la concurrence mémorielle, le fameux "2 poids, 2 mesures". Que leur répondre? Par des chiffres : en moyenne les professeurs de CM2, 3ème et 1ère consacrent 3h/an à cette question. 1,5% des élèves d'une classe d'âge/an se rend dans un lieu de mémoire juif. 5000 élèves (sur 12 millions) /an se rendent à Auschwitz. 3000 enseignants (sur 1 million) se sont formés au Mémorial de la Shoah depuis son ouverture. On peut signaler aussi que le même Mémorial travaille et communique aussi sur le génocide arménien et sur celui des Tutsis au Rwanda.

En même temps l'école a peut-être elle-même introduit ce problème des concurrences mémorielles en confondant parfois histoire et mémoire. Rappelons-nous la suggestion de N.Sarkozy alors Président, après les assassinats à l'Ecole juive de Toulouse en 2012, "que chaque enfant de cours moyen se charge de la pensée et du destin d'un enfant juif exterminé", ce qui a suscité levée de boucliers et abandon de la directive. Marie-Anne Matard-Bonucci, professeur d'histoire à Paris 8 va même plus loin : "L'école outrepasse son rôle, dit-elle, en voulant transmettre, en plus de l'histoire, la mémoire de la Shoah. L'histoire a une visée universaliste, tandis que la mémoire intéresse une communauté et n'a pas sa place à l'école, quelle que soit cette communauté". Son avis me semble très tranché; certes il peut parfois exister une certaine confusion entre histoire et mémoire, mais il me semble que la mémoire de cette tragédie exceptionnelle qu'est la Shoah n'intéresse pas que la communauté juive mais bien tous les citoyens, enfants des écoles compris, du pays où elle s'est déroulée : la collaboration sous Vichy ou le sauvetage des Juifs par les Justes nous concernent tous , et la commémoration est l'une des façons de transmettre l'histoire.